La mauvaise alimentation tue une personne sur cinq dans le monde, selon une étude publiée dans la revue médicale The Lancet en 2019. Au banc des accusés, on retrouve la surconsommation de certains produits alimentaires comme le sucre, responsable de diverses maladies non transmissibles. L’une des mesures adoptées face à ce problème de santé publique est l’instauration d’une taxe sur les boissons sucrées, option entrée en vigueur en Afrique du Sud en 2018. Trois ans après, l’Agence Ecofin vous propose de revenir sur les conséquences de cette mesure chez le deuxième producteur de sucre en Afrique.
Une initiative de santé publique
La taxe sur le sucre est une mesure visant essentiellement les boissons sucrées non alcoolisées. Ce choix s’explique par le taux de sucre de ces aliments. Par exemple, une canette de Coca-Cola classique contient 54 g de sucre, soit 108 grammes pour un litre de Coca-Cola. Or, depuis 2014, l’OMS recommande seulement 25 grammes de sucre par jour, soit 6 cuillères à thé, pour un adulte présentant un indice de masse corporelle (IMC) normal. Il faut noter que cette recommandation constitue une réduction de moitié de la précédente, prescrivant 50g de sucre par jour.
Une seule canette de Coca-Cola classique contient 2 fois le sucre quotidien recommandé par l’OMS.
Le changement se justifie par la montée du diabète et de l’obésité dans la population mondiale, deux maladies causées notamment par une consommation élevée de sucre. L’OMS explique ainsi que la prévalence de l’obésité a quasiment doublé entre 1980 et 2014, alors que le diabète était directement responsable de 1,5 million de décès dans le monde, en 2012. Aux Etats-Unis, pays souvent pointé du doigt quand il s’agit d’évoquer la mauvaise alimentation, la situation est encore plus préoccupante. Les personnes en situation d’obésité sont en effet passées d’une proportion de moins de 50% dans la population adulte en 1962, à 75% en 2010, soit les trois quarts de la population.
Aux Etats-Unis, les personnes en situation d’obésité sont en effet passées d’une proportion de moins de 50% dans la population adulte en 1962, à 75% en 2010, soit les trois quarts de la population.
« Je ne pense pas que nous ayons encore suffisamment de preuves pour suggérer que le sucre est la cause de l’épidémie d’obésité. Mais il y a suffisamment de preuves pour dire qu’une consommation élevée de sucre contribue de manière importante à la prise de poids », déclare le cardiologue Chiadi E. Ndumele, du département de médecine de l’université Johns Hopkins, sur le sujet.
L’obésité touche désormais les trois quarts de la population américaine.
Ces cris d’alarme auraient dû encourager les gouvernants à trouver des mesures comme la généralisation de la taxe sur le sucre. Pourtant, à l’état de projet depuis des années dans plusieurs pays, son adoption fait face à divers obstacles à cause du puissant lobbying de l’industrie, mené notamment par Coca-Cola ou Pepsi, les deux géants mondiaux du soda. « N’hésitant pas à recourir à la même tactique d’intimidation bien financée que l’industrie du tabac a rendue célèbre, l’industrie des boissons est prête elle aussi à tout faire pour empêcher la mise en place d’une taxe », souligne l’OMS.
Aux Etats-Unis par exemple, l’Etat de Californie envisage de l’instaurer depuis 2002 sans grand succès. C’est seulement en 2014 que l’agglomération de San Francisco est parvenue à l’adopter. Instaurées sous forme d’accises (impôts indirects perçus à la consommation), ces taxes sur le sucre se retrouvent en Finlande, à Maurice, en France, au Mexique, et plus récemment en Afrique du Sud.
Instaurées sous forme d’accises (impôts indirects perçus à la consommation), ces taxes sur le sucre se retrouvent en Finlande, à Maurice, en France, au Mexique, et plus récemment en Afrique du Sud.
Adoptée par le parlement sud-africain en décembre 2017, la loi entre en vigueur le 1er avril 2018. Elle vise à réduire la consommation de boissons gazeuses, qui a fortement progressé au cours des 50 dernières années, favorisant l’augmentation de l’obésité au sein de la population. Au cours des débats à la chambre des députés, la professeur Tolullah Oni de l’Université du Cap a même indiqué que le Sud-Africain a consommé en moyenne 254 canettes de soda en 2010, contre 89 au niveau mondial. Deux tiers des femmes et un tiers des hommes seraient ainsi en situation de surpoids ou d’obésité dans le pays.
Deux tiers des femmes et un tiers des hommes seraient ainsi en situation de surpoids ou d’obésité en Afrique du Sud.
« En adoptant ce projet de loi, le parlement sud-africain a montré qu’il existe des mesures réalisables pour lutter contre les maladies non transmissibles. Le projet de loi sur la taxe sur les boissons sucrées ouvre la voie à l’Afrique du Sud pour qu’elle rejoigne le mouvement mondial croissant des nations qui utilisent des politiques fiscales pour réduire la consommation de produits malsains », s’est alors félicité le Dr Rufaro Chatora, représentant de l’OMS dans le pays.
Les producteurs de boissons se sont adaptés
Dénommée Health Promotion Levy (HPL), la taxe sud-africaine sur le sucre est appliquée pour toutes les boissons sucrées non alcoolisées, contenant plus de 4g/100 ml, à l’exception des jus de fruits sans sucre ajouté. L’Etat prélève 2,1 centimes de rand pour chaque gramme supplémentaire, ce qui entraine une hausse d’environ 11% du prix d’une canette de Coca-Cola. La hausse des recettes fiscales générée par cette mesure sert notamment, apprend-on, à soutenir des initiatives de promotion d’une meilleure alimentation. S’il n’existe pas de données pour évaluer l’impact immédiat de la taxe sur le changement des habitudes des consommateurs ou les effets positifs sur leur santé, un rapport publié en juin 2021 par le National Economic Development and Labour Council (NEDLAC) s’intéresse à l’impact économique de la mesure.
Ainsi, au cours de l’exercice fiscal 2018-2019, première année d’application de la Health Promotion Levy, les revenus générés par la taxe ont dépassé les prévisions, atteignant 3,19 milliards de rands, contre une estimation de 2,396 milliards de rands. Cependant, les recettes ont baissé de 23% l’année suivante, et devraient suivre cette tendance pour l’exercice fiscal 2020-2021, avec 1,95 milliard de rands attendus. Plus qu’une baisse drastique de la consommation des boissons sucrées, cette diminution traduit l’adaptation dont ont fait preuve les industriels face à la loi.
La réponse des industriels.
Selon la Beverages Association of South Africa, organisme qui regroupe les principaux producteurs de boissons, ces derniers ont revu la composition de leurs produits, réduisant de 15% la teneur en sucre ou proposant des boissons sans sucre.
Selon la Beverages Association of South Africa, organisme qui regroupe les principaux producteurs de boissons, ces derniers ont revu la composition de leurs produits, réduisant de 15% la teneur en sucre ou proposant des boissons sans sucre.
Si ce n’est pas le scénario imaginé par les autorités, cette adaptation a eu le mérite de réduire non seulement la quantité de sucre dans les boissons sucrées, mais également la consommation globale de ces boissons sucrées, en raison de l’augmentation des prix, liée à la répercussion de la taxe sur les consommateurs. Cependant, la réduction des quantités de sucre dans les boissons a aussi entrainé une baisse de 4% de la demande domestique de sucre pour l’exercice fiscal 2018-2019, avec à la clé une baisse des effectifs. Selon le rapport du NEDLAC, l’industrie de la culture de la canne à sucre et du broyage du sucre a ainsi supprimé près de 10 000 emplois au cours de l’exercice, contre un peu plus de 1100 emplois pour le secteur des boissons.
Une mesure nécessaire, mais insuffisante
Dans la population sud-africaine, une étude menée par trois chercheurs de l’université du Witwatersrand recense des avis partagés sur le sujet de la taxation des boissons sucrées, allant d’une méconnaissance de l’initiative, à des interrogations sur le but réel des autorités qui voudraient davantage accroitre les recettes publiques qu’améliorer la santé des populations.
Dans ce domaine, le gouvernement mauricien fait office de pionnier en Afrique, avec une taxe sur le sucre concernant aussi bien les boissons que les confiseries, bonbons, biscuits et gâteaux.
Une telle hypothèse se retrouve confortée par le manque ou l’insuffisance de politiques de lutte contre l’abus de sucre d’une manière générale. Car, comme l’ont déjà démontré plusieurs études, notamment les résultats publiés en 2014 par l’Institut national de la Recherche agronomique en France, la mesure entraine effectivement une réduction de la consommation des boissons sucrées, mais ne permet pas, à elle seule, de lutter efficacement contre les problèmes de santé liés au sucre.
Pour y arriver, il faudrait conjuguer la taxe avec un ensemble d’autres mesures comme la sensibilisation, des taxes similaires sur d’autres produits manufacturés contenant du sucre. Dans ce domaine, le gouvernement mauricien fait office de pionnier en Afrique, avec une taxe sur le sucre concernant aussi bien les boissons que les confiseries, bonbons, biscuits et gâteaux.