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vendredi 10 janvier 2025

LE DEVELOPPEMENT DE LA FINANCE MOBILE, UN MOYEN DE RENFORCEMENT DE L’INCLUSION FINANCIERE AU SENEGAL (Dr Aliou DIOP, Expert financier, Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF)

Dans la diversité des moyens de paiements scripturaux, constitués d’instruments dits « traditionnels » (chèques, ordres de virement ou de prélèvement, effets de commerce) ou modernes (cartes de paiement), les supports de « seconde génération » tels que la finance mobile se distinguent aujourd’hui, leur développement apparaissant en effet comme une des réponses privilégiées à la problématique de la promotion de la bancarisation et de l’accès généralisé aux services bancaires.

Au sens strict, la finance mobile désigne les services financiers par téléphone portable, offerts par les banques. Il s’agit principalement de services de consultation de soldes, de paiement de factures et de transfert d’argent. Au sens large, le concept s’étend à l’ensemble des services financiers pouvant être offerts, avec ou sans compte bancaire, par tout établissement agréé à cet effet. Les services de mobile banking permettent, entre autres, aux populations vulnérables, et généralement non bancarisées, d’effectuer des opérations financières autrefois réservées aux détenteurs de comptes bancaires.

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Le procédé a comme support le téléphone portable, moyen de communication très fortement répandu ces dernières années, y compris en zone rurale. Il permet de faciliter l’accès des populations aux services financiers, diversifier et améliorer l’offre de services et réduire les coûts de transaction, notamment dans les zones où les autres moyens de communication font défaut.

Même si la marge de progression par rapport aux standards internationaux est encore importante, la finance mobile, en plein essor au Sénégal, y présente de nombreux avantages au regard du faible niveau de bancarisation. Il constitue en effet un vecteur efficace pour renforcer l’inclusion financière, en ce qu’elle permet un accès d’un plus grand nombre d’agents économiques à des services financiers de qualité, sur une gamme de produits et services de plus en plus élargie.

La présente contribution situe le rôle important de la finance mobile pour la réduction de l’exclusion financière au Sénégal, dans un contexte marqué par l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie régionale d’inclusion financière sous l’égide de la Banque Centrale.

Elle s’articule autour des points suivants :
– les principaux freins à l’inclusion financière ;
– la situation actuelle de la finance mobile ;
– les défis et perspectives du mobile banking face à la problématique de l’inclusion financière.

L’accès et l’usage des services, freins majeurs à l’inclusion financière

Par définition, l’inclusion financière désigne tout processus permettant d’offrir à une frange de la population, exclue totalement ou partiellement du champ de couverture des opérations financières du secteur conventionnel, des services financiers accessibles et innovants, faciles à utiliser et d’un coût abordable.

A cet égard, en dépit des performances appréciables observées, reflétées notamment par le renforcement des points de services et une consolidation de l’activité d’intermédiation financière, le taux de bancarisation stricto sensu s’établit à 19,64% au Sénégal à fin 2017, soit largement en deçà des taux observés, à titre d’exemple, au Maroc (45%) ou en Tunisie (60%). En outre, le taux d’accès de la population aux services financiers formels, y compris les systèmes financiers décentralisés, tourne autour de 48% à fin 2107 selon les statistiques disponibles.

Ce tableau dénote, d’une façon générale, la prévalence de facteurs limitants, tenant aussi bien du côté de l’offre (coûts élevés des services, faible transparence, asymétrie d’information…) que de la demande de services financiers. A cela, s’ajoutent la faiblesse des revenus moyens, le faible niveau d’éducation financière, l’inaccessibilité géographique aux réseaux de distribution dans certaines zones et une maîtrise insuffisante de l’environnement réglementaire et institutionnel.

L’analyse des résultats des différentes enquêtes nationales de perception réalisées par l’Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF) auprès des usagers et clients et l’observation des tendances qui en sont ressorties ont mis en évidence divers obstacles à l’accès aux services financiers ainsi qu’au développement de leur usage. Ces obstacles se manifestent suivant différents critères, financiers, économiques, sociaux ou culturels. Parmi les freins identifiés, il y a lieu de relever :

– les conditions globalement jugées contraignantes, attachées à l’ouverture d’un compte, selon la perception de 52,2% des hommes et 62,9% des femmes ;
– une certaine défiance quant à la sécurité de l’épargne en dépôt au niveau de l’institution financière, exprimée paradoxalement par près de 60% des enquêtés ;
– les difficultés de bénéficier d’un crédit (46%) ;
– les niveaux des frais bancaires perçus comme trop élevés par 34% des personnes interrogées ;
– le coût élevé de la carte bancaire, indexé par 61% des clients interrogés ;
– l’inaccessibilité géographique des agences bancaires, du fait de leur forte concentration à Dakar et dans certaines zones urbaines, au détriment de plusieurs localités de l’intérieur;
– une offre de produits jugée peu ou pas adaptée aux besoins et activités des clients et usagers.
Face à de telles contraintes, la finance mobile dont l’essor remarquable des activités témoigne du fort dynamisme, apparait comme une solution alternative, propre à faciliter l’accès aux services financiers de base à des segments d’usagers évoluant auparavant en marge du système financier.

 La situation de la finance mobile au Sénégal

Au plan réglementaire et institutionnel, plusieurs initiatives ont été mises en place en vue de promouvoir l’utilisation de la monnaie électronique dans les pays de l’Union. Parmi celles-ci, il y a lieu de mentionner, en particulier, les dispositions relatives à la Loi Uniforme n°2008-48 du 03 septembre 2008 , l’Instruction de la BCEAO n°01/2006/SP du 31 juillet 2006 et l’Instruction de la BCEAO n°008-05-2015 .

D’autres actions ont été également initiées sous l’impulsion de la BCEAO, pour la promotion de la monnaie électronique et parmi lesquelles la concertation régionale sur le développement des services financiers par téléphonie mobile, les concertations nationales et régionales sur la stratégie régionale d’inclusion financière, etc.

Le marché sénégalais affiche un volume de 150,2 millions d’opérations effectuées par la monnaie électronique à fin décembre 2017 contre 72,6 millions de transactions en 2016, pour une valeur de 1259 Mds FCFA à fin décembre 2017 contre 571,1 Mds FCFA en 2016.

Le nombre de détenteurs de porte-monnaie électronique ressort à fin décembre 2017 avec 5, 2 millions d’utilisateurs contre 4,4 millions en 2016.

A fin décembre 2017, le taux d’utilisation des services financiers (taux d’inclusion financière) s’établit quant à lui à 74,78% en 2017 contre 32,07% en 2010. Cette forte progression est en particulier liée à la monnaie électronique dont le taux d’accès ressort à 26,9% contre 1,44% en 2010.

Défis et perspectives de la finance mobile face à la problématique de l’inclusion financière

Malgré l’essor noté, des défis majeurs restent à relever pour un développement inclusif du mobile banking à savoir, le renforcement de la supervision, la promotion de modèles adéquats de partenariats entre les acteurs et l’amélioration de la qualité de service, notamment en termes de sécurité et de tarification.

Tout d’abord, il convient de relever que les populations à faibles revenus, jadis exclus en majorité, sont à présent les premiers segments ciblés pour bénéficier des innovations technologiques telles que les paiements par téléphone mobile et de façon générale, les services bancaires mobiles. Ces innovations rendent en effet les services financiers moins coûteux et plus faciles d’accès pour les jeunes, les femmes et les habitants des zones rurales, notamment ceux qui vivent dans des localités éloignées, dépourvues notamment d’agences bancaires.

Les nouvelles offres, distribuées par le biais d’intermédiaires divers (commerce de proximité, points de service, etc.) donnent à ces différents segments, l’opportunité de déposer et de retirer de l’argent, d’effectuer des transferts entre personnes (P2P), de régler des achats ou des factures, de recevoir un salaire ou une pension de retraite, mais également d’accéder à l’épargne et aux services de microfinance.

La forte pénétration de la téléphonie cellulaire constitue ainsi un facteur particulièrement favorable pour atteindre une population cible et des zones géographiques n’ayant pas ou peu accès à des services financiers de base. Elle contribue ainsi au renforcement de l’infrastructure financière et participe d’une meilleure inclusion et globalement, du développement socio-économique.

L’essor de la finance mobile appelle toutefois le renforcement de l’éducation financière, en vue d’atténuer les difficultés qui pourraient provenir de la sophistication et de la technicité de certaines opérations.
Par ailleurs, l’élargissement du marché et la simplification des supports porteurs de plus d’inclusion financière devraient, autant que possible, être mis à l’abri de certains risques (blanchiment d’argent, risque de liquidité, risque technique, etc.). La capitalisation des progrès acquis à cet égard appelle par conséquent une vigilance plus renforcée dans la conception d’une réglementation appropriée et surtout le contrôle de son application. Il s’agit en particulier de mieux encadrer l’activité de transfert de fonds par téléphonie mobile et l’agrément des prestataires, de façon à ce que la confiance du public et l’accès croissant à des services de cette nature évoluent de pair avec une solidité financière renforcée de l’écosystème.

Un autre défi majeur à relever a trait à l’accroissement de l’usage de services de mobile banking. En effet, une étude menée par la Banque Mondiale indique que moins de 10% des adultes en Afrique ont utilisé, au cours des douze derniers mois, leurs téléphones mobiles pour payer leurs factures, envoyer ou recevoir de l’argent. De même, pour ce qui est de l’activation des comptes, sur une volumétrie de 5,2 millions comptes électroniques ouverts au Sénégal, moins de la moitié reste active.

L’optimisation des solutions de la finance mobile passe également par une offre de services de qualité : simple d’usage, adaptée à la demande et diversifiée. A ce titre, il y a un consensus sur le fait que l’extension du mobile aux services d’épargne, de crédit et d’assurance devrait fortement renforcer les niveaux actuels d’inclusion financière. Les services disponibles à ce jour portent en effet, pour la plupart, sur des possibilités de dépôt, de retrait, de transfert d’argent et dans une moindre mesure seulement, sur des ordres de paiement.

Une autre contrainte à lever, pour plus de qualité dans la branche, concerne le besoin de renforcement de la concurrence et donc de la transparence. En effet, la position dominante d’un nombre limité de prestataires de services n’est pas sans induire, ou tout au moins favoriser une tarification élevée, contraire à l’objectif d’accès à des prestations à moindre coût. Ainsi, le renforcement de la transparence des tarifs des services financiers, via la téléphonie mobile, pourrait tirer profit d’une mise à disposition, au profit des usagers, d’un comparatif des coûts affiché afin de réduire au mieux l’asymétrie de l’information.

Sur un autre plan, le poids exorbitant des grands opérateurs dans l’écosystème financier, pourrait également être une source de risque systémique et dans ce cadre, un renforcement du contrôle des activités de distribution des services permettrait de poser les bases d’un développement inclusif et durable du mobile banking.

De même, l’offre de services financiers mobiles reste peu variée. Les administrations publiques et les institutions de microfinance sont encore insuffisamment impliquées dans ce domaine novateur, nonobstant les avantages liés à la célérité et la fiabilité du paiement électronique. La promotion de modèles de partenariats entre les acteurs pour développer des solutions de paiement plus inclusives, doit être soutenue tant par les pouvoirs publics que les autorités de régulation spécifiques.

Enfin, les partenariats entre les banques, les institutions de microfinance et les opérateurs de téléphonie mobile devraient être encouragés, à travers un cadre intégré, ce qui permettrait de réduire davantage les coûts des opérations effectuées et d’offrir aux usagers des services de plus grande qualité.

Par Dr Aliou DIOP
Expert financier
Observatoire de la Qualité des Services Financiers (OQSF)

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