Amir* balance entre doute et espoir. « Il y a déjà eu tellement de promesses et si peu d’actions concrètes. Mais on se doit d’être optimiste : beaucoup de problèmes n’avaient jamais été abordés par les autorités et maintenant celles-ci proposent des solutions », résume ce gérant d’une société basée à Alger qui fournit des services de développement de site Internet et d’applications mobiles.
Faire de l’Algérie un « pôle de l’innovation en Afrique », c’est l’ambition affichée par Yacine Oualid, le jeune ministre délégué chargé des start-up et de l’innovation. Nommé en janvier par le président Abdelmadjid Tebboune, il est le plus jeune membre du gouvernement actuel. A tout juste 27 ans, son département est à l’origine d’Algeria Disrupt 2020, une conférence nationale sur le sujet qui s’est tenue samedi 3 octobre, dans la capitale.
Amir faisait partie des mille participants conviés à cet événement qui a rassemblé étudiants, chefs d’entreprises, experts et représentants d’institutions gouvernementales et financières. « Quand je vois que le ministre rencontre des acteurs vraiment calés dans ce domaine et capables de faire des propositions pour le nouveau code de commerce, alors ça me rassure », explique-t-il.
En finir avec la bureaucratie
Preuve de l’engouement affiché pour ce secteur, plusieurs ministres et le chef d’Etat étaient présents lors de la rencontre. « L’ère des obstacles administratifs et bureaucratiques est révolue », a déclaré Abdelmadjid Tebboune, avant d’annoncer la création d’un fonds spécial pour le financement des start-up.
Un fonds alimenté par six banques publiques, mais dont le montant n’a pas encore été révélé, relève Ramy Zemmouchi, un passionné de nouvelles technologies qui anime la Tek Up Channel, une plateforme sociale d‘information sur le monde des start-up en Algérie et dans la région.
Parmi les dispositions prises par le gouvernement figurent aussi des avantages fiscaux et parafiscaux avec l’exonération de certaines taxes et de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, déjà prévue par la loi de finance 2020, ainsi qu’une révision des cadres juridique et réglementaire. « Personnellement, j’ai souffert des impôts et de l’inexistence d’une forme juridique claire, indique Amir. Ils vont réduire les charges fiscales pour les deux premières années, ce qui est bien puisque celles-ci ne comptent pas beaucoup pour le pays, mais ont un impact négatif sur les finances de la start-up. »
Néanmoins, selon le jeune entrepreneur, il aurait été préférable de « faciliter l’investissement des acteurs privés » plutôt que de solliciter une nouvelle fois les banques publiques. « J’ai peur que l’on répète le scénario de l’Ansej », explique-t-il en référence à ce fonds de crédit public pour la création d’entreprises destiné aux jeunes et auprès duquel beaucoup de bénéficiaires sont désormais endettés. Sur les 380 000 entreprises créées dans le cadre de l’Ansej, plus de 70 % sont en difficulté, avait annoncé en août Nassim Diafat, ministre délégué chargé de la micro-entreprise.
« Des personnes vont peut-être poser leur candidature pour avoir le label start-up afin d’obtenir des financements et profiter des avantages fiscaux et parafiscaux », reconnaît Ramy Zemmouchi. « Mais je pense que ce sera plus difficile car l’idée du ministre, c’est d’avoir des personnes de différents départements ministériels, des experts et professionnels de la tech qui vont former un comité et décider de ce qu’est une start-up et si le projet est valable ou non », soutient ce futur ingénieur en informatique de 25 ans, qui a participé à plusieurs séances de travail auprès du ministère chargé du dossier.
Pour éviter la bureaucratie, toutes les procédures devraient être gérées à travers une plateforme unique. Annoncée pour le 15 octobre, celle-ci n’est toujours pas en ligne. « Une première déception », note Ramy Zemmouchi. Malgré ce couac, il veut rester positif : « Une bonne partie des textes de loi seront appliqués à partir du début de l’année 2021, donc on est dans une sorte d’échauffement. Le pessimisme de certaines personnes n’est pas vraiment justifié puisque c’est une nouvelle équipe et une nouvelle approche. »
Problèmes de connexion
Pour autant, des handicaps structurels demeurent. « Comment développer des start-up et pousser les gens à innover quand on souffre encore d’une connexion Internet lente et que le paiement électronique n’est toujours pas généralisé ? », s’interroge un jeune investisseur, partenaire dans le développement d’une application de jeu en ligne.
L’Algérie figure régulièrement au bas des classements mondiaux en termes de rapidité du débit de connexion Internet, fixe comme mobile, et les coupures effectuées par les autorités lors d’épreuves, telles que le baccalauréat, perturbent les activités des entreprises.
Malgré toutes ces contraintes, de « jeunes pousses » parviennent à tirer leur épingle du jeu en s’adaptant à leur environnement. Notamment sur le marché des VTC, estimé à 100 millions de dollars par an dans le pays, selon Sylabs, start-up qui œuvre pour l’inclusion des initiatives entrepreneuriales dans le paysage économique algérien.
Pour satisfaire la demande en matière de transport, plusieurs sociétés ont ainsi vu le jour ces trois dernières années avec un leader : Yassir, lancé en 2017 et dont l’application enregistre plus d’un million de téléchargements sur Android. Forte de son succès, a toute jeune société a déjà déployé ses services dans les pays voisins, la Tunisie et le Maroc, en 2019.