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samedi 4 janvier 2025

Des forêts du Cameroun aux temples du Vietnam, itinéraire d’une nouvelle mafia du bois

Au terme de près de trois ans d’enquête, l’ONG américaine Environmental Investigation Agency et le Centre pour l’environnement et le développement (CED) camerounais publient, mardi 10 novembre, un rapport dans lequel ils décrivent, sur la base de nombreux témoignages, les pratiques qui permettent de contourner les lois pour vider les forêts camerounaises sans être inquiété. Ces arbres au cœur brunâtre, dont la cime peut atteindre 40 mètres de haut, sont utilisés dans le secteur de la construction et en particulier pour celle des temples. D’où le titre du rapport : « Bois volé, temples souillés ».

Le tali n’est toutefois pas la seule essence à quitter ainsi les ports de Douala ou de Kribi : le rapport cite également le doussié, classé vulnérable sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et davantage utilisé pour la fabrication de meubles. Un marché sur lequel le Vietnam concurrence la Chine.

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« Le Vietnam a supplanté les débouchés européens historiques. Il est le deuxième client du Cameroun après la Chine. Mais personne n’est en mesure de dire d’où provient le bois acheté. Il n’existe aucune traçabilité. Cette opacité va de pair avec un manque à gagner important pour les recettes de l’Etat », constate Samuel Nguiffo, le directeur du CED. En 2018, 63 % des grumes quittant le port de Douala partaient vers la Chine, 30 % vers le Vietnam et moins de 10 % vers l’Europe, selon les chiffres de la Société d’exploitation des parcs à bois du Cameroun, la filiale de Bolloré qui gère le terminal portuaire.

« Désastre écologique »

Les entrepreneurs vietnamiens ne sont évidemment pas les premiers à utiliser les failles de la législation forestière au Cameroun. Ils ont simplement trouvé « un écosystème favorable, où tout est possible dès lors qu’on est prêt à distribuer des billets », décrit un diplomate en poste à Yaoundé, qualifiant le ministère des forêts de « ministère de la prédation, complice d’un désastre écologique ».

Si la corruption huile depuis longtemps les affaires dans le secteur forestier, la vingtaine d’entreprises vietnamiennes présentes au Cameroun se singularisent par leur mode opératoire. Comme le décrit le rapport, elles n’exploitent pas directement les forêts et ne sont pas détentrices de concessions à travers lesquelles l’Etat confie au secteur privé la gestion de son patrimoine forestier. Elles agissent le plus souvent comme de discrètes sociétés de négoce, en blanchissant du bois provenant de coupes illégales issues de petits permis attribués en dehors des grandes concessions.

 

Les « ventes de coupe » sont les permis les plus prisés : attribués pour trois ans sur de petites superficies de 2 500 hectares, ils ouvrent la voie à une exploitation sans limites. Alors que l’Etat s’était engagé à plusieurs reprises à les supprimer, la demande vietnamienne semble au contraire assurer leur postérité. Les enquêteurs de l’EIA, infiltrés dans les sociétés vietnamiennes, ont recueilli plusieurs témoignages attestant de falsifications de documents pour permettre le transport et l’exportation des grumes. Le marquage frauduleux du bois, tout comme la création de petites scieries mobiles permettant de transformer grossièrement les grumes illégalement acquises, apparaissent également comme des pratiques courantes.

« Au fil des ans et au fur et à mesure que le réseau de complices et de facilitateurs des sociétés vietnamiennes de négoce du bois se développait, ces sociétés ont obtenu un accès de plus en plus grand aux forêts et sont devenues expertes de l’exploitation forestière illégale », conclut le rapport. Et cela jusque dans des parcs nationaux comme la réserve de faune du Dja, située dans le sud du pays.

« Aucune volonté politique »

Les déboires des forêts camerounaises seraient somme toute assez banals si les deux pays protagonistes ne s’étaient engagés à assainir leur commerce de bois dans le cadre de partenariats avec l’Union européenne (UE). Avec, dans le cas du Cameroun, déjà plusieurs dizaines de millions d’euros versés pour accompagner l’administration forestière et les opérateurs du secteur sur le chemin de la légalité et de la traçabilité du bois exporté.

Dix ans après la signature de cet accord de partenariat volontaire (APV), le rapport publié mardi ne peut que conforter un constat d’échec. « Tout a été fait pour saborder ce qui aurait pu rendre opérationnel cet accord. Il n’existe aucune volonté politique d’avancer. Trop de personnes “mangent” sur ce gâteau », observe un bon connaisseur du dossier, qui compare le secteur forestier à une boîte noire dans laquelle le recoupement des données est devenu quasi impossible.

 

Le plus gros exportateur de bois du bassin du Congo avait pourtant été un des premiers à se tourner vers la certification forestière pour garantir une gestion durable de ses ressources. « Il ne reste aujourd’hui qu’une société certifiée FSC, la française Pallisco. Les plans d’aménagement imposés aux grandes concessions ont été peu respectés, si bien que la forêt camerounaise est certainement une des plus dégradées de la région », constate Alain Karsenty, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Les Européens n’envisagent pas pour l’heure de rompre leur partenariat avec le Cameroun, par crainte de voir la situation empirer.

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