Avec sa récolte d’arachides estimée à 1,8 million de tonnes en 2020/2021, le Sénégal figure en bonne place sur la liste des premiers fournisseurs de l’oléagineux. Sur le papier, il représente le 3ème producteur africain et le 5ème à l’échelon mondial. Cette abondance ne profite pourtant pas aux huiliers. L’approvisionnement en matières premières reste un problème récurrent qui pourrait hypothéquer l’avenir de l’industrie de la transformation. Explications.
Au Sénégal, l’un des symboles du désarroi des huiliers est la Société nationale de commercialisation des oléagineux (Sonacos). La compagnie étatique a essuyé ces dernières années, plusieurs revers en ratant ses objectifs de collecte industrielle d’arachide d’huilerie. En 2019/2020, elle a dû se contenter d’un maigre stock de 28 000 tonnes sur un volume de 50 000 tonnes prévu, lui-même en baisse par rapport à l’objectif initial de 150 000 tonnes.
« Le gouvernement a clairement sacrifié les huileries privées »
À la question de savoir quelles sont les raisons de cette pénurie chronique, les acteurs de l’industrie et les syndicats pointent unanimement du doigt une domination écrasante des acteurs chinois. À juste titre.
À la question de savoir quelles sont les raisons de cette pénurie chronique, les acteurs de l’industrie et les syndicats pointent unanimement du doigt une domination écrasante des acteurs chinois. À juste titre.
Ceux-ci ont les faveurs des producteurs auxquels ils offrent de meilleurs prix. Durant la campagne 2020/2021, par exemple, le montant offert par les acteurs chinois pouvait grimper jusqu’à 350 Fcfa/kg, voire 400 Fcfa, soit bien plus que le tarif minimum fixé (250 Fcfa) d’après différents médias locaux. Si dans un tel contexte, il reste tentant d’attribuer le rôle du méchant aux acteurs chinois, il convient surtout de rappeler que leurs opérations se déroulent dans un environnement des affaires qui leur est largement favorable et qui a été façonné par l’État…
Une libéralisation qui fait mal
Au Sénégal, la crise de l’industrie de transformation est surtout le résultat d’un processus de libéralisation limitant la marge de manœuvre des acteurs locaux. Pour comprendre cette situation, il faut remonter à 2010, plus précisément le 13 janvier. Le gouvernement prenait alors un décret autorisant les exportations d’arachides sans agrément, une démarche inédite après plusieurs années de contrôle. À l’époque, l’objectif est d’écouler le surplus découlant de la récolte record de la saison précédente et de permettre au secteur de redécoller. Dès 2011, la mesure a permis d’attirer de nombreux importateurs provenant de Chine, principal producteur et consommateur de l’oléagineux.
Le montant offert par les acteurs chinois pouvait grimper jusqu’à 350 Fcfa/kg, voire 400 Fcfa.
Cet intérêt de l’Empire du Milieu se matérialisera en 2014 avec la signature d’un protocole d’accord relatif aux exigences phytosanitaires pour l’exportation des graines d’arachide. L’entrée de la Chine sur le segment de l’exportation a considérablement modifié la structure du marché intérieur, avec un accroissement de la vulnérabilité des huiliers sur ces dernières années. En effet, le circuit d’exportation de l’arachide est essentiellement géré par les opérateurs chinois ou leurs mandataires, qui peuvent aller directement dans les villages et négocier les prix bord champ avec les producteurs. Dans leur quête de matière première, ceux-ci peuvent aussi être aidés par les commerçants ou encore les opérateurs privés stockeurs (OPS) agréés par le Comité national interprofessionnel de l’arachide (CNIA).
Pendant ce temps, les opérateurs nationaux sont tenus de rester dans les points de collecte officiels et de s’approvisionner auprès des OPS mobilisant les graines auprès des producteurs. Les huiliers sont d’ailleurs tenus de se conformer aux contraintes réglementaires comme les cotisations à la CNIA, contrairement aux exportateurs. La pilule est encore plus amère dans la mesure où les huiliers locaux semblent être les seuls soumis au respect du prix minimum fixé par le CNIA, alors que les opérateurs chinois pratiquent la surenchère.
La pilule est encore plus amère dans la mesure où les huiliers locaux semblent être les seuls soumis au respect du prix minimum fixé par le CNIA, alors que les opérateurs chinois pratiquent la surenchère.
Globalement, pour rester dans la course et augmenter les chances de collecte, les opérateurs sont donc obligés d’augmenter leurs investissements en amont, ce qui augmente leurs coûts d’acquisition de la matière première. À titre d’exemple, en 2019/2020, la Sonacos a payé dans certaines zones de production, la matière à 300 Fcfa/kg alors le prix minimum était de 210 Fcfa/kg, et a offert des promotions ainsi que des primes sur le prix. Mais pour combien de temps ?
Des arbitrages qui seront décisifs
Au Sénégal, le futur de l’industrie de la transformation reposera en grande partie sur les épaules du gouvernement. Les stratégies à court ou moyen terme seront déterminantes pour la bonne marche de l’industrie, tant la situation semble urgente. Certains acteurs comme la Compagnie de production des Oléagineux (Copéol) ont déjà déposé les armes. « Le gouvernement a clairement sacrifié les huileries privées », confiait à l’Agence Ecofin, Nicolas Brugvin, son Directeur général dans le cadre d’une interview. Pour ceux qui restent, les perspectives de rentabilité s’annoncent nettement réduites.
Ceci est d’autant plus vrai pour la Sonacos qui doit produire l’huile et la distribuer sur un marché où elle doit déjà batailler contre l’huile de palme qui en occupe plus de 70 % des parts.
Ceci est d’autant plus vrai pour la Sonacos qui doit produire l’huile et la distribuer sur un marché où elle doit déjà batailler contre l’huile de palme qui en occupe plus de 70 % des parts.
Pour répondre à la crise, le gouvernement a interdit les exportations d’arachides au milieu du mois de décembre avant de la lever deux semaines plus tard, et une taxe à l’export de 30 Fcfa/kg frappe désormais l’arachide décortiquée. Dans la foulée des plaintes de la Sonacos, l’exécutif l’a appelé à changer son système d’approvisionnement et à procéder comme les opérateurs chinois, c’est-à-dire à aller vers le bord-champ…
En 2019, la Chine a absorbé 97% des exportations sénégalaises d’arachide.
Cependant d’après de nombreux observateurs, ces différentes mesures restent largement insuffisantes sur un marché où la surenchère est un outil. La question fondamentale qui se pose ici est moins celle d’un choix entre les huiliers locaux et les opérateurs chinois que celle de la véritable vision de l’exécutif pour l’industrie, au-delà des discours volontaristes sur la valeur ajoutée créée par la transformation. Dans la pratique, le pays ne peut d’ailleurs pas se passer de la manne financière générée à l’export. La Chine a absorbé 97% des exportations sénégalaises pour des recettes de plus de 108 milliards Fcfa en 2019.
La question fondamentale qui se pose ici est moins celle d’un choix entre les huiliers locaux et les opérateurs chinois que celle de la véritable vision de l’exécutif pour l’industrie, au-delà des discours volontaristes sur la valeur ajoutée créée par la transformation.
Dès lors, les réflexions sur l’établissement d’une priorité aux huiliers nationaux sous la forme de quotas ou de pourcentage de la production feront partie des clés de sortie de crise. Il va falloir en outre considérer l’intérêt des producteurs dont la priorité est d’écouler leurs récoltes à un bon prix, indépendamment de la nature des acheteurs. D’autres pistes peuvent aussi être explorées comme une régulation similaire de l’achat d’arachide pour les huiliers et les exportateurs, ou encore la mise en place d’un véritable organe régulateur de la filière. Dans tous les cas, les observateurs s’accordent à dire qu’en cas de statu quo, l’industrie de la transformation serait définitivement hors-jeu.